Mohammed VI, derrière ses masques. Le fils de notre ami a fait débat alors qu’il n’était même pas encore sorti. Le livre est disponible depuis peu sur la plateforme de téléchargement d’Amazon, en attendant la sortie de la version papier en France. Telquel.ma a pu consulter le livre, présenté comme un « brûlot » par la presse. Son auteur préfère lui dire qu’il s’agit d’un « livre sur le roi et non contre lui ».
Le livre est divisé en neuf chapitres et est préfacé par Gilles Perrault, à qui l’on doit Notre ami le roi, le livre qui a révélé l’existence du bagne de Tazmamart au grand public et qui a provoqué un épisode de tension entre le Maroc et la France à sa sortie, au début des années 1990.
Les premiers extraits du livre d’Omar Brouksy qu’on a pu lire confirment qu’il s’agit d’un livre d’analyse plus que de révélations. Sur la quatrième de couverture, l’auteur annonce la couleur :
Cette enquête fouillée aborde sans passion tous les aspects connus et moins connus, reluisants ou pas, d’une monarchie qui peine à mettre ses actes en conformité avec ses discours.
Plus loin on peut lire que « ce livre est d’abord un voyage dans l’intimité d’un pouvoir personnel, celui du 22e monarque de la dynastie alaouite. Il évoque son parcours, sa fortune, son statut religieux, ses conseillers, sa cour et son style de gouvernement depuis 15 ans ».
Lire aussi : 15 ans de règne: Mohammed VI, le chef absolu
Le livre dresse, presque exhaustivement, toutes les grandes affaires traversées par le pays ces dernières années : le gouvernement d’alternance, l’affaire de l’îlot Leila, les procès de militants et de journalistes, en passant par le « Danielgate ».
Le fils de notre ami se penche aussi sur l’entourage royal, la personnalité du monarque, mais s’intéresse aussi à la situation économique du pays et aux écarts sociaux. Des thématiques et des informations déjà vues ailleurs, mais mises en perspective de manière nouvelle par l’auteur.
Les Français et le 20-Février
Omar Brouksy a annoncé des révélations sur les relations entre le Maroc et la France. C’est ce que l’on retrouve dès l’avant-propos. Plus précisément, il y est question de la réaction de la France aux manifestations pro-réformes du mouvement du 20-Février :
Deux jours après les premières grandes manifestations du 20 février 2011, Mohammed VI s’envole pour la France et rencontre son homologue Nicolas Sarkozy. Sous les lambris de l’Elysée, le président français le presse d’annoncer des changements politiques et l’assure de son soutien.
Omar Brouksy cite un diplomate en off, relayant les propos qu’aurait tenu le président français au monarque : « (La France) tient à la stabilité de la monarchie, (mais) la conjoncture régionale impose que des réformes soient au moins annoncées ».
Le livre rapporte une autre anecdote, citant une conversation entre « le numéro 2 de l’ambassade de France » et deux jeunes du mouvement du 20-Février, invités à la résidence de l’ambassadeur à l’initiative de ce dernier :
Vous savez, le Maroc connaît une importante évolution, on ne peut pas le nier. Le Maroc est un pays stable. Cela est très important pour les investisseurs français notamment. Cette dynamique du changement peut toutefois dégénérer et conduire à l’instabilité et à l’inconnu. Nous souhaitons que tout changement se déploie dans le cadre de cette stabilité et dans le cadre de ces paramètres.
Le politologue Youssef Belal était également convié à ce rendez-vous et livre « un souvenir amer ».
On voyait bien que les diplomates français profitaient de la sincérité de ces jeunes militants. L’absence de Bruno Joubert (l’ambassadeur, ndlr) était planifiée car cela aurait été mal perçu. Au cours de cette rencontre, les Français ont tout fait pour discréditer le mouvement islamiste Justice et Bienfaisance d’une part, et les formations de l’extrême gauche d’autre part. Ces deux mouvements étaient présentés par ces diplomates comme des dangers pour le Maroc et pour la monarchie. Le devoir de réserve que tout diplomate professionnel doit respecter était violé de manière obscène devant nos yeux. C’était un de ces moments de réédition du pacte néocolonial qui lie la monarchie aux Français.
L’entourage royal et le cas El Himma
L’entourage du roi, et notamment les personnalités les plus puissantes du royaume, est largement évoqué dans le livre.
« Peu nombreux mais influents : ils sont à peine une dizaine et leur influence est à la fois réelle et variable », peut-on lire. Omar Brouksy évoque particulièrement trois personnages du « pré carré royal » : Fouad Ali El Himma, un des plus proches, Mohamed Yassine Mansouri, « assez méconnu et surtout très lisse » et Mohamed Rochdi Chraïbi, qui dirige le cabinet royal, qualifié de« disque dur du palais »
Le livre évoque également le collège royal, dans lequel ils ont tous, à part Mounir Majidi, fait leurs études. « A l’intérieur, la lutte pour la proximité par rapport au roi engendre des relations qui peuvent aller de la servilité à la violence physique en passant par une tension permanente ». De tous, c’est bien Fouad Ali El Himma qui jouit du plus de la proximité du prince à l’époque. Omar Brouksy cite Mohamed Sassi, militant de gauche, qui lui a raconté les propos tenus par El Himma lors d’une soirée chez le ministre et homme d’affaires Aziz Akhannouch à Rabat.
Je suis porteur d’un projet global : le projet du roi… Le train royal est en marche. Ceux qui veulent le prendre, marhaba [Bienvenue], ceux qui ne veulent pas monter… nous n’allons pas les attendre !
Le projet en question, le livre le résume ainsi : « primauté de l’économique sur le politique. Priorité à la sécurité et à la stabilité ».
Le gouvernement d’alternance
Le livre revient également sur l’expérience de l’alternance, et l’année 2002 durant laquelle le chef de l’USFP et ancien opposant, Abderrahmane El Youssoufi, ne s’est pas vu reconduit à la primature malgré l’arrivée de son parti à la tête du scrutin :
Dans un entretien avec l’auteur, l’un des dirigeants de l’USFP a précisé que la rencontre de Youssoufi avec le roi n’a duré qu’une dizaine de minutes. Mohammed VI aurait pris son Premier ministre au dépourvu en lui déclarant d’entrée de jeu : « Nous avons décidé de nommer M. Driss Jettou au poste de Premier ministre. » Pour Youssoufi, c’est un coup de massue. « Ses jambes avaient du mal à le porter », commente l’un de ses proches. « Majesté, c’est une décision qui va à l’encontre de la logique démocratique… », aurait protesté le vieux chef de l’USFP. Mohammed VI décide alors d’esquiver et parvient à contourner l’amertume de son interlocuteur : « Mais on m’a dit que la fonction [de Premier ministre] ne t’intéressait plus… »
Constitution : les révélations de Tozy
Mohamed Tozy, le sociologue, raconte les conditions dans lesquelles il a été contacté par un des conseillers du roi, Mohamed Moatassim, deux jours avant le discours du 9 mars, pour participer à la rédaction de la nouvelle constitution de 2011 :
J’ai donc pris l’avion pour Casablanca le 9 mars. Je n’étais au courant de rien. Moatassim ne m’avait rien dit de précis au téléphone. II m’avait dit qu’il voulait me voir, que c’était à la fois important et urgent. Lorsque je suis arrivé à l’aéroport de Casa, quelqu’un m’a amené ma voiture, et alors que je conduisais en direction de Rabat, j’ai écouté le discours du roi. Un discours que j’ai trouvé particulièrement important. Pour moi, une dynamique de changement était enclenchée. (…) J’avais rendez-vous avec Moatassim chez lui, dans sa villa de Souissi, à Rabat. Je suis arrivé vers la fin du discours royal et j’ai trouvé chez Moatassim tous les membres de la Commission royale présidée par le professeur Menouni. Tous les membres étaient là, et ils n’étaient apparemment au courant de rien. Donc, après le discours du roi, Moatassim nous a dit : « Voilà, messieurs dames, vous êtes les membres de la Commission royale consultative chargée de réformer la constitution. »
Mohamed Tozy raconte (un peu) les coulisses des débats qui ont animé les réunions de la commission consultative, et notamment le débat sur la question de l’impossibilité pour le roi de mettre fin aux fonctions du gouvernement, que l’aile conservatrice réclamait de maintenir :
Je ne sais si on peut parler de camp, mais il y avait entre nous des divergences, et c’est normal. Il n’y avait ni commission parallèle, ni quoi que ce soit de ce genre. Il y avait des auditions et des discussions. On recevait chacun une indemnité de 500 dirhams par jour.
Moulay Hicham, le « cousin d’Amérique »
Omar Brouksy a également rencontré le prince Moulay Hicham, pour les besoins du livre, et lui consacre un chapitre intitulé « le cousin d’Amérique ». Il présente l’auteur du Journal d’un prince banni comme un « personnage controversé », qui a tenu à discuter avec le journaliste dans « l’immense jardin » de sa villa parce qu’il est « persuadé d’être sur écoute ».
« Il jure ne pas être « intéressé » par une éventuelle participation « aux affaires publiques » aux côtés de son cousin, même s’il subsiste toujours un doute sur sa sincérité », estime l’auteur :
« Participer ? Non merci, cela ne m’intéresse pas. » Puis il ajoute : « Les conditions ne sont pas réunies… Je suis quelqu’un qui a acquis beaucoup d’expérience, je sais un peu comment la vie fonctionne, et je gère ce que m’offre la vie. J’ai cherché la force en moi. Il y a une chanson de Sinatra qui dit : « Si tu survis à New York, tu survis partout. » […] Mon évolution intellectuelle, qui continue de me passionner, m’a appris que ce système est incapable de gérer les dissidences qu’il ne peut intégrer. »
Vive le roi .